Parmi les écosystèmes des hautes latitudes, les lacs sont particulièrement sensibles aux variations environnementales. En étudiant leurs conditions actuelles et passées à travers leurs sédiments, ce projet vise à permettre une meilleure compréhension du fonctionnement de ces écosystèmes du Haut-Arctique et de leurs rôles dans le système climatique mondial. La série de quatre lacs de la vallée de Stuckberry est l’un des écosystèmes terrestres les plus nordiques au monde. Ces lacs se sont révélés diversifiés et atypiques dans leurs conditions limnologiques. Le fonctionnement de ces écosystèmes inhabituels est mal connu et une meilleure caractérisation est nécessaire pour interpréter de manière fiable les changements passés dans l’enregistrement sédimentaire.
Le premier objectif de ce projet est de modéliser la dynamique annuelle de la limnologie physicochimique des lacs de la vallée de Stuckberry. La vallée était complètement méconnue avant 2017 et a été échantillonnée trois années consecutives, toujours au printemps. Les analyses réalisées jusqu’à maintenant se limitent à la période de l’année caractérisée par un couvert de glace. Les conditions limnologiques suivent des cycles annuels qu’il est crucial d’étudier afin de mieux comprendre ces lacs, leur susceptibilité aux changements, et leur valeur comme sentinelles et intégrateurs des changements environnementaux.
Le second objectif est de reconstituer les changements à long terme à partir d’une carotte prise dans l’océan adjacent et d’ainsi contribuer à une meilleure compréhension des liens entre les écosystèmes terrestres côtiers et l’océan Arctique.
Dans le parc national Quttinirpaaq sur l’Île d’Ellesmere, Nunavut, la vallée de Stuckberry monte de l’océan pour englober une série de quatre lacs (SV1, SV2, SV3 et SV4) vierges. SV1 est à la tête du transect d’altitude, alors que SV4 est le plus proche de la mer. La limite marine dans cette région était de 124 m, ce qui signifie que ces lacs étaient des dépressions sous-marines lorsque les environnements glaciomarins sont apparus après le retrait des glaciers ~11,4 cal ka BP. Le soulèvement isostatique a ensuite séparé séquentiellement les lacs de l’océan. Les deux lacs les plus près de la côte sont petits, ont moins de 10 m de profondeur et étaient anoxique au fond lors de nos échantillonnages au printemps. Les deux lacs plus haut dans la vallée sont plus gros, plus profonds (27 et 49 m) et avaient des colonnes d’eau bien oxygénées.
Au printemps 2019, des mouillages ont été installés dans la colonne d’eau des lacs qui permettront de mesurer la température de l’eau, la conductivité et l’oxygène dissout à différentes profondeurs. Les données seront mesurées toutes les heures durant une année complète, puis les mouillages seront récupérés à l’été 2020 pour récolter les données. Une carotte de sédiments marins dans l’océan Arctique dans la baie adjacente à la vallée a aussi été récoltée. Les changements dans la géochimie de cette carotte seront analysés à l’aide des marqueurs biolipidiques provenant d’algues de glace.
Avec les données provenant des sondes, la dynamique de brassage, les changements dans les conditions de glace des lacs et dans la consommation d’oxygène par les bactéries seront modélisés. Très peu d’études ont examiné les conditions prédominantes des lacs sous la glace dans l’extrême Arctique étant donné les difficultés logistiques. Pourtant, la compréhension du fonctionnement des écosystèmes aquatiques dans leur cycle annuel est cruciale pour l’interprétation des reconstructions paléoenvironnementales. Les analyses des biomarqueurs lipidiques des algues de glaces permettront la reconstruction paléoenvironnementale de la glace marine. Les variations décelées de la glace marine pourront ensuite être comparées aux reconstructions faites à partir des sédiments des lacs. Cela permettra de combler un manque de connaissance en ce qui a trait à l’interconnexion des milieux terrestres côtiers et la banquise arctique.